Les Boules

Description

De la pétanque comme art de combat.ExtraitLe matin, il surveille son cholestérol et, l’après-midi, au mail sous les platanes dont les ramages servent gentiment et gratuitement d’ombrelle ou de parapluie, Anatole joue aux boules avec ses copains retraités.Même le dimanche.Pour le moment, il n’en fait pas toute une affaire. Il pointe ou tire selon le sens du vent ou la mine des dahlias, lançant son Obut comme on lâche un pet, en regardant ailleurs, souvent et sans aucun danger la fontaine où des anges font pipi en souriant.De loin en loin il entend un clac. Ça signifie qu’il a fait un carreau. D’autres fois, sa boule fait floc dans une flaque et il dit l’avoir noyée. Un soir, alors qu’il regardait un arc-en-ciel il estropiait un chow-chow, et les joueurs payèrent une choucroute à la maîtresse du cabot qui ne se consola qu’au dessert.Des profiteroles.Mais aujourd’hui comme aimanté par elle, comme d’elle son amant, Anatole suit des yeux une Obut qu’il vient de pousser, et où le soleil s’est mis en entier. Tout doucement elle poque en frisant le maître qui cahin-caha s’en va voir un pépé assis sur un banc où il grignote son quatre-heures.Des Écoliers.Sur-le-champ Anatole trouve qu’il y a quelque chose comme de la tendresse dans sa façon de jouer, a un haut le cœur, époussette un peu trop sa veste et décide qu’il sera désormais tireur.Tireur, terreur de la tendresse qui lui a toujours fait mal partout.Il lui faut réagir, agir, pouvoir jouer aux boules sans avoir les boules, et la pétanque devient une philosophie qu’il applique à sa vie comme on met un pull pour se protéger du froid ; on ne s’inquiète ni de sa forme ni de sa couleur. Le dogme qui est son fer de lance et dont il n’est pas peu fier est celui du carreau : changer une boule par une autre, ce qui équivaut à chasser une idée, une table, un grain de sable, un de beauté, puis à les remplacer dans la foulée.« La loi du caprice et de la puissance et de la raison finalement et finement », affirme-t-il à ses copains qui du coup se tiennent à carreau.Anatole est tellement impressionnant.Une Obut en main, il se place dans le rond dessiné sur le sable, ne bouge plus, fixant la boule qui l’angoisse, l’ennemie qui parle de tendresse, d’amour, de Julie. Les anges pissent et tout à coup l’Obut part comme un obus.Il fait mouche à tous les coups.