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L'autopsie confirme le décès. Eloge de la Correction
EPUISE
Où il est question de barbarismes et autres contresens... sans oublier les petits travers des ateliers.
Extrait
Martyr
Étienne Dolet, imprimeur à Lyon, fut pendu et brûlé, comme athée et relaps, pour avoir
ajouté les mots "du tout" à la fin de cette phrase, traduite de Platon: "Après la mort, tu ne seras plus rien." Et peut-être cette addition n'était-elle qu'une malheureuse coquille. (Grand Larousse du XIXe siècle.)
Métaphore
Le correcteur veillera à ne pas laisser entrer en collision des demi-métaphores inappropriées ou des métaphores de contexte différent.
Ex. : "La goutte d'eau qui a mis le feu aux poudres", ou "L'étincelle qui a fait déborder le vase". Exemples outrés, mais le fait est fréquent: "Il a mis le grand braquet, botté en touche et franchi la ligne jaune" se peut rencontrer.
C'est surtout dans le domaine de la vie politique et en ce qui concerne l'entreprise que la presse use et abuse de métaphores dont le correcteur aura soin de vérifier l'équilibre, en récusant par exemple "Tenir la barre du char de l'État" (mais non la pertinence, choix de l'auteur).
Sommeil
Dans la presse, le correcteur travaille souvent de nuit, ce qui peut avoir des répercussions
sur sa vigilance. On raconte l'anecdote d'un collègue qui avait tendance à s'endormir vers
1 heure du matin, au point que les autres correcteurs le couchaient, tout assoupi, dans le bac
servant à réceptionner les bandes perforées usagées ! Et certains se souviennent d'un correcteur près de la retraite qui, après le déjeuner, dormait la panse dilatée et les yeux ouverts, son Bic rouge tremblant au-dessus des lignes.
Suiveur
Quelqu'un travaillant régulièrement dans une entreprise de presse sans toutefois être
embauché.
Surcorrection
Bas les masques : beaucoup corrigent non pour le lecteur, entité lointaine, dont le
rappel est au demeurant assez vulgaire, mais pour les autres correcteurs, rivalisant de
purisme et d'interventions absconses aux yeux du commun des mortels, zigouillant la
virgule ajoutée par le confrère et étalant une science connue d'eux seuls: "La Caraïbe, en
coulisse, au singulier ! La charrue devant les bœufs, et non avant ! En manches de chemise,
et non en bras ! Brut de coffrage, et non de décoffrage! Repartir de zéro, et non à zéro ! C'est la règle !" entend-on. Quelle règle ? Personne ne sait plus très bien.
Surpluriel
Sujet qui vrille l'âme (en admettant qu'il en ait une) du correcteur. "Touareg" étant le
pluriel de " targui", peut-on mettre un "s" aux Touareg(s) ? Et les pasdaran, les taliban, les fedayin, ces gens qui sont déjà des pluriels, qu'en faire ? Quant aux spaghettis et autres
confettis, ces mots de troisième ou de quatrième génération n'ont plus à justifier leur
origine étrangère : ils ont droit au "s" comme tous les autres titis.
Leur métier ? Traquer les erreurs dans les journaux. Florilège...
Ces gens-là sont précieux, certes, mais aussi dangereux : ils connaissent toutes les faiblesses des journalistes. A longueur de journée, ils relisent la copie des rédacteurs, la réparent, la corrigent de ses fautes de français, de ses erreurs de style, de date, de sens ou d'orthographe. Et certains, comme Pierre Laurendeau et Patrick Boman (écrivain et réviseur à L'Express), vont même jusqu'à publier leur florilège de perles glanées sur la copie. Autant dire que nous n'en menons pas large en rédigeant cet article, puisque rien n'assure que l'auteur de ces lignes n'est pas celui qui, un jour, omit à l'hilarité générale le « q » du mot coquille, écrivit sans réfléchir « L'autopsie confirme le décès » ou encore « Ils étaient ses deux bras droits ». Il sera pourtant beaucoup pardonné aux confrères qui nous régalent aujourd'hui. Non seulement ils sauvent la presse du ridicule, mais surtout, avec cet abécédaire gouailleur, plein de chansons, d'argot journalistique et de curiosités linguistiques, ils montrent que leur travail consiste moins à garder le temple de l'orthographe qu'à préserver la richesse d'une langue menacée par le « textuellement correct ». Bref, réviseur, c'est un métier d'avenir.
L'Express